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Serenissima
25 février 2007

Une Muse

§

Venise

§

Dans Venise la rouge,

Pas un bateau qui bouge,

Pas un pêcheur dans l'eau,

Pas un falot.

§

Seul, assis à la grève,

Le grand lion soulève,

Sous l'horizon serein,

Son pied d'airain.

§

Autour de lui, par groupes,

Navires et chaloupes,

Pareils à des hérons

Couchés en ronds,

§

Dorment sur l'eau qui fume,

Et croisent dans la brume,

En légers tourbillons,

Leurs pavillons.

§

La lune qui s'efface

Couvre son front qui passe

D'un nuage étoilé

Demi-voilé.

§

Ainsi, la dame abbesse

De Sainte-Croix rabaisse

sa cape aux larges plis

sur son surplis.

§

Et les palais antiques,

Et les graves portiques,

Et les blancs escaliers

Des chevaliers,

§

Et les ponts, et les rues,

Et les mornes statues,

Et le golfe mouvant

Qui tremble au vent,

§

Tout se tait, fors les gardes

Aux longues hallebardes,

Qui veillent aux créneaux

Des arseneaux.

§

Ah! maintenant plus d'une

Attend, au clair de lune,

Quelque jeune muguet,

L'oreille au guet.

§

Pour le bal qu'on prépare,

Plus d'une se pare,

Met devant son miroir

Le masque noir.

§

Sur sa couche embaumée,

La Vanina pâmée

Presse encor son amant,

En s'endormant ;

§

Et Narcissa, la folle,

Au fond de sa gondole,

S'oublie en un festin

Jusqu'au matin.

§

Et qui, dans l'Italie,

N'a son grain de folie?

Qui ne garde aux amours

Ses plus beaux jours?

§

Laissons la vieille horloge,

Au palais du vieux doge,

Lui compter de ses nuits

Les longs ennuis.

§

Comptons plutôt, ma belle,

Sur ta bouche rebelle

Tant de baisers donnés...

Ou pardonnés.

§

Comptons plutôt tes charmes,

Comptons les douces larmes,

Qu'à nos yeux a coûté

La volupté !

§

                                                              Alfred de Musset, 1828

§

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Serenissima
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